PLATEFORME 
TRANS

Comment se construit le genre ?

Les théories sur la construction du genre sont nombreuses et, comme pour beaucoup de théories psychosociales, difficilement vérifiables de façon claire et définitive. Si Freud a fait grand bruit en 1905 avec ses Trois Essais sur la Théorie Sexuelle et ses “Complexe d’Œdipe” (pour expliquer la construction du genre au travers de l’interdit de l’inceste chez le garçon) et “Complexe de Castration” (pour expliquer l’émergence de la féminité comme compensation au manque du pénis chez la petite fille), ces théories sont aujourd’hui de plus en plus décriées, tant par les spécialistes que par le tout-un-chacun.

Mais malheureusement, ces textes seront longtemps les principales références servant à nourrir toutes les théories psychanalytiques élaborées par les médecins pour justifier l’idée que la transidentité est une maladie mentale, une psychose. Le complexe d’Œdipe a pour principal but d’intégrer dans l’enfant deux différences fondamentales et constitutives de son identité : la différence des générations et la différence des sexes. Chez l’individu transidentitaire, cette phase du développement générerait ce que Colette Chiland, citée par Thamy Ayouch en 2015, nomme une “maladie du narcissisme” qui s’exprime comme une “construction du self par “identité du sexe contraire”, et les personnes trans comme sujets états-limites pour qui toute élaboration est court-circuitée, évacuée dans l’acte et le corps.” La personne transgenre, au départ de cet élément supposé traumatique, échouerait donc dans l’élaboration de son complexe d’Œdipe et, par narcissisme post-traumatique, intégrerait la différence des sexes, mais en construisant un délire : celui d’appartenir elle-même au genre contraire à celui qui, “naturellement”, devait être le sien. Dans cette théorie, la personne transgenre est de ce fait, par essence, dans une structuration psychique qui relève de la psychose.

En 1990, dans le contexte des Gender Studies, Judith Butler s’amusera à démanteler ces théories freudiennes en élaborant sa théorie du genre performatif. La performativité est, en son sens premier, le fait pour une parole de constituer simultanément l’énonciation et l’action qu’elle exprime (“Je jure que…”, par exemple). En philosophie, c’est le fait que cette parole puisse performer des créations sociales. Comme le disaient Berger et Luckmann, “tout corps de connaissances en vient à être socialement établi en tant que réalité”, c’est-à-dire que la connaissance et la parole dans une société donnent des valeurs à des réalités qui n’ont, en leur essence, pas de sens. Par exemple, un billet de banque ne représente une valeur que parce que l’on croit que l’argent existe et parce que l’on sait ce qu’il vaut, ce qui est en soit une construction sociale puisqu’un billet ou une pièce de monnaie n’ont, en leur essence, pas de valeur. Ce sont nos connaissances et notre implication dans la société qui leur donnent un capital.

Judith Butler amène donc ce concept au genre en affirmant que “les actes, gestes et accomplissements, au sens le plus général, sont performatifs, par quoi il faut comprendre que l’essence ou l’identité qu’ils sont censés refléter sont des fabrications, élaborées et soutenues par des signes corporels et d’autres moyens discursifs […] [le genre] n’a pas de statut ontologiquement indépendant des différents actes qui constituent sa réalité.”. Ainsi, le genre n’est pas une réalité objective comme le sexe peut l’être (et encore, les catégories de sexe ne sont pas elles-même des réalités objectives, même si les critères à partir desquels ces catégories sont construites peuvent être analysés objectivement), mais bien une identité provenant d’un construit socio-culturel qui se performe, se joue et s’apprend. Cette performativité va au-delà du langage et touche aussi au comportement. L’enfant devient garçon ou fille quand iel joue effectivement comme un garçon ou une fille, quand iel performe ce rôle de façon répétitive jusqu’à ce que cela fasse partie d’elle ou de lui, et iel apprend à se découvrir en même temps qu’iel apprend et intègre les normes sociales.

Cette théorie de la performativité a été très utile pour révéler la nature du genre comme construction sociale, dont la signification varie selon la culture. Elle a également permis de mettre en avant l’aspect subversif des manières queer de jouer le genre, qui révèlent l’aspect imitateur de toute performance du genre. Cependant, la théorie de Butler n’échappe pas à la critique, notamment de la part d’auteur·ice·s trans qui y lisent une remise en question de la réalité de leur expérience du genre telle qu’elle est vécue dans le corps.

De nombreuses autres études ont eu à cœur de comprendre comment se construisait le genre, et d’expliquer si celui-ci était inné ou acquis. Des biologistes ont étudié les effets des flux d’hormones prénataux sur les cerveaux fœtaux, trouvant ainsi que les cerveaux mâles et femelles présentaient effectivement statistiquement des caractéristiques différentes. Cependant, la réalité est bien plus complexe qu’une simple division entre un “cerveau mâle” et un “cerveau femelle”. À la place, on trouve une série de caractéristiques qui sont statistiquement plus présentes chez les femmes ou chez les hommes. Cependant, les variations entre individus sont généralement plus nombreuses que les similitudes basées sur le genre ou le sexe.

Ces données neurobiologiques ont laissé entendre que le genre pourrait donc déteindre d’une donnée biologique, mais celle-ci pourrait être indépendante du sexe, puisque ces hormones prénatales pourraient interagir avec le cerveau de manière indépendante des chromosomes et donc du sexe du bébé. Ces découvertes sont récentes et n’occultent pas la performativité du genre de Butler, puisque de toute façon le genre en lui-même est une caractéristique sociale. Se comporter comme une femme n’est pas une valeur objective : Cela peut vouloir dire être doux·ce et sensible tout comme être puissant·e et responsable. Les cerveaux influenceraient donc peut-être en partie le comportement, mais c’est la société qui l’analyse et lui colle une étiquette genrée. Il est également important de prendre en compte que les personnes trans ne sont généralement pas représentées dans les échantillons cliniques des études neurobiologiques, et que celles-ci se basent généralement sur une vision binaire du genre et du sexe. Des recherches approfondies sont donc encore nécessaires avant de pouvoir élaborer une théorie 100% satisfaisante.

On peut également ajouter à l’équation de la construction du genre une notion de pression à la conformité. Dans Opinions and Social Pressure, le psychologue Solomon Asch décrit les phénomènes de pression sociale où des individus, au vu de la pression d’un groupe ou d’une instance supérieure, changent leur avis profond pour se conformer. Cette conformité a un but social, elle sert à s’intégrer et est le résultat de millions d’années où un individu seul ne pouvait pas survivre très longtemps. L’humain est une espèce qui a besoin des autres et qui a donc développé un instinct grégaire relativement important.

Cette pression s’impose aussi aux personnes trans* pour les inciter à renier leur nature profonde pendant un certain temps. Ainsi, dans notre société (qui représente à elle seule le groupe et les instances supérieures) qui associe mâle à garçon et femelle à fille, les petits mâles ont tout intérêt à performer le genre masculin et les petites femelles celui féminin pour s’intégrer dans un groupe et ne pas se retrouver seul·e·s, et il est inadmissible d’avoir une apparence ou une attitude androgyne ou sortant de la binarité de genre tout comme il est interdit d’avoir une identité que la société ne reconnaît pas. Les personnes sortant de la congruence entre genre et sexe se retrouvent donc bien souvent marginalisées si elles imposent un peu trop leur véritable nature et sont invitées à garder celle-ci sous silence, pour leur propre bien et leur propre intégration. C’est aussi pour cela que les transidentités ne sont pas toujours visibles dès l’enfance.

Quoi qu’il en soit, en psychologie développementale, un certain consensus se dégage pour dire que la différence des genres et les attitudes genrées qui en découlent peuvent s’intégrer inconsciemment chez l’enfant dès l’âge de deux ans. Et l’expérience de terrain de bon nombre de spécialistes affirme effectivement que, déjà à cet âge, la transidentité de l’enfant peut se manifester.

Sources

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