L’intersexuation englobe les variations anatomiques des corps par rapport à la norme médicale établie, ainsi que l’invalidation sociale et médicale subie par les personnes qui présentent ces variations. Cet article abordera les variations anatomiques et l’invalidation sociale subie, et examinera les diverses terminologies associées à l'intersexuation.
L’Organisation des Nations Unies définit “intersexe” comme suit :
“Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuées (tels que l’anatomie sexuelle, les organes reproducteurs, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique) qui ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité ou de la féminité.”
Les personnes intersexuées peuvent présenter des caractéristiques anatomiques et/ou physiologiques des deux sexes, des traits pas tout à fait féminins ou masculins1, ou ne correspondant à aucun des deux. Les personnes ne présentant pas de variations des caractères sexués sont qualifiées de dyadiques ou endosexes.
L’intersexuation est à son tour définie comme “un terme générique utilisé pour décrire un large éventail de variations corporelles naturelles”.
Les caractéristiques sexuées incluent tous les éléments anatomiques ou physiologiques liés au sexe. Ils comprennent :
Les variations des caractères sexués peuvent être identifiées à divers stades de la vie. L’intersexuation est parfois détectée durant la grossesse ou à la naissance, mais elle peut également se révéler durant l’enfance, l’adolescence et rarement à l’âge adulte. L’intersexuation n’est pas toujours visible et ne sera dans certains cas très rares jamais détectée.
Les traits intersexes ne sont pas dangereux pour la santé : il s’agit de variations du corps humain qui ne nécessitent pas d’intervention médicale. Cependant, en cooccurrence avec ces variations peuvent apparaître des problèmes de santé, qui peuvent inclure la perte de sel, la surdité, des problèmes cardiaques, des problèmes de maturation pulmonaire, etc. Ceux-ci ne sont pas liés au système de procréation : il s’agit de possibles co-morbidités génétiques non anodines mais viables. Ces problèmes peuvent être graves, mais dans la plupart des cas ils ne posent pas de risque majeur pour la vie de la personne.
Il existe une vingtaine de variations connues, bien qu'il n’y ait pas toujours de terme spécifique pour chacune. Évoquer les variations les plus répandues implique d’utiliser le vocabulaire médical dominant qui a morcelé les intersexuations en “syndromes” : il est important de reconnaître que ce vocabulaire renforce la mainmise médicale sur les intersexuations et leur marginalisation. Parmi les variations les plus suivies médicalement en Belgique figurent l'“insensibilité partielle ou totale aux androgènes” (SIA), le “syndrome de De la Chapelle”, le “syndrome de Klinefelter”, le “syndrome de Turner”, le “syndrome de Jacob”, le “syndrome de Rokitansky” (MRKH), l'“hypospadias”, l’“hyperplasie congénitale des surrénales”, l’“hypogonadisme”, l’”ovotestis”, certaines formes de cryptorchidie (environ 2%) et certaines formes d’ovaires polykystiques (entre 2 et 10%). Plus informations dans l'article Impacts des intersexuations sur la vie quotidienne.
L'intersexuation touche aux caractéristiques anatomiques et physiologiques d’une personne, et n’a pas d’emprise sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle et romantique d’une personne.
Les personnes intersexuées peuvent avoir des identités et des expressions de genre ainsi que des attirances romantiques et sexuelles variées. La prévalence des personnes LGBTQA+ dans la population intersexuée est similaire à la prévalence LGBTQA+ dans la population dyadique. La majorité des personnes intersexuées sont donc cisgenres, c’est-à-dire que leur identité de genre correspond au sexe binaire qui leur a été assigné à la naissance. Cependant, l’expérience du genre des personnes intersexuées peut être compliquée par les normes sociales qui leur sont imposées tout au long de leur vie.
L’hermaphrodisme est un phénomène qu’on retrouve dans la nature en botanique et en zoologie, dans lequel un organisme vivant présente deux systèmes de procréation complets mâles et femelles, soit simultanément soit alternativement. Ce phénomène est différent de l’intersexuation. Bien qu’historiquement il ait longtemps été utilisé pour désigner les personnes intersexuées, ce terme est aujourd’hui considéré comme péjoratif, notamment de par ses connotations mythologique et monstrueuse.
La définition anatomique de l’intersexuation définit les corps intersexués par leur différence, par leur variation de la norme médicale établie. Les personnes intersexuées sont donc marquées par l’altérisation : elles sont considérées comme marginales, parfois taboues, car elles viennent bousculer la cis-endosexenormativité qui dicte qu’il n’y a que deux sexes dont découlent naturellement des normes genrées immuables.
En effet, la visibilité des personnes intersexuées dans la société provoque souvent la confusion, voire un sentiment de rejet chez les personnes dyadiques : il s’agit de l’interphobie. L’interphobie renforce l’invalidation sociale des personnes intersexuées en minimisant, marginalisant et pathologisant leur existence, et ce dans toutes les sphères de la société.
Le corps médical qualifie les variations intersexes de “troubles” et d’“anomalies” et considère parfois les personnes intersexuées comme “pas finies par la nature”. La médecine cherche donc à les “corriger” pour les faire entrer dans les cases “masculin” et “féminin” dans une perspective cis-hétéronormée. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les variations intersexes sont segmentées en “syndromes” et les personnes intersexuées classifiées et regroupées en différentes pathologies. Ce morcellement contribue à l’invisibilisation des intersexuations.
Les enfants intersexué·es naissant avec des organes génitaux que les médecins estiment “ambigus” subissent encore aujourd’hui, dans la plupart des cas, des interventions de “normalisation” génitales qui visent à leur imposer des pratiques sexuelles hétéronormées (basées sur la pénétration d’un vagin par un pénis) à l’âge adulte et des rôles genrés rigides (par exemple, la capacité d’un garçon de faire pipi debout). L’ablation de gonades considérées comme atypiques ou de tissu utérin est également courante. Le corps médical place donc les attentes sociales au-dessus d’un potentiel besoin thérapeutique, laissant souvent les parents des enfants intersexué·es mal informés et isolés.
Ces interventions médicales, qu’elles soient chirurgicales ou hormonales, ont souvent de lourdes conséquences. Elles entraînent des séquelles menant à des interventions à répétition, qui auront des répercussions sur la santé mais aussi la vie sociale et économique des personnes intersexuées. De plus, la plupart de ces interventions ayant lieu quand la personne intersexuée est très jeune, le consentement éclairé de la personne n’est souvent pas garanti. Ces interventions s’apparentent donc à des mutilations.
"La pratique consistant à forcer les corps intersexes dans un système binaire relève ainsi de l’idéologie et non de la nécessité médicale. La négation de l’existence du corps intersexe s’inscrit à la fois dans le sexisme, l’homophobie et la transphobie, et a des conséquences dramatiques sur ces personnes."3
Ces expériences ne touchent cependant pas toutes les personnes intersexuées : la diversité des variations et l’âge auquel celles-ci sont révélées amènent à une grande diversité de parcours.
Une enquête réalisée en Flandre en 2017 a révélé que la majorité des personnes intersexuées et les parents d'enfants intersexué·es ne connaissaient pas le terme "intersexuation" ou ne réalisaient pas qu'il désignait leur propre variation. Associé négativement au terme "hermaphrodite" ou à l'acronyme LGBTQIA+, ce concept demeure méconnu du grand public et, par conséquent, est peu utile à ces personnes pour décrire leur expérience quotidienne.
Quel terme utiliser, alors, pour parler d’intersexuation ? Depuis les années 2000, il y a un manque de consensus entre le monde médical et les mouvements militants à ce sujet. Le débat sur la terminologie de l'intersexuation est principalement politique, car le terme choisi porte une certaine perception de l'intersexuation et de qui détient la légitimité pour en parler.
Dans le monde médical, les termes les plus courants sont “DSD” (troubles ou différences du développement sexué) et “VSD” (variations du développement sexué), voire “VDG” (variations du développement génital). Le corps médical utilise également le terme “anomalie OGE ou VGE” (anomalie du développement des organes génitaux externes).4 Ces termes sont critiqués par les groupes militants car ils maintiennent l’intersexuation dans le registre de l’anomalie en choisissant de se concentrer sur les caractères biologiques. Ce terme implique que la médecine a l’autorité sur les corps intersexués, pour déterminer ce qu’ils sont et ne sont pas, et comment les “traiter”.
En opposition à DSD, les groupes militants ont adopté plusieurs termes pour valoriser leur identité au-delà des dimensions biologiques et pathologisantes. Le terme “intersexué·e” désigne les personnes qui présentent une ou plusieurs variations des caractères sexués. Il est utilisé par des personnes et associations militantes afin de marquer la différence avec le terme intersexe, qui désigne les personnes intersexuées qui embrassent cette identité de manière politique et militante, réhabilitant un terme autrefois employé de manière discriminatoire. Cependant, la nuance intersexué·e/intersexe n’existe que dans la langue française. Le terme intersexe est donc souvent utilisé pour désigner les personnes intersexuées dans leur ensemble, afin de faciliter la compréhension du grand public et la communication avec les organisations internationales. Le terme inter*, quant à lui, permet d’éviter toute référence au sexe et garantit l’inclusivité de l’identité inter* à toutes les formes d’intersexuation.
Le vécu commun des personnes intersexuées est centré sur leur expérience de stigmatisation, d’invalidation et parfois de pathologisation, c’est-à-dire les répercussions socio-culturelles du fait de naître intersexué·e. Le terme intersexe vise donc à établir des liens entre les expériences diverses et les variations spécifiques, permettant aux personnes intersexuées de se rencontrer et de partager des vécus similaires et favorisant une affirmation positive de soi.
"En effet, être intersexe n’est pas tant une condition qu’un vécu, mais c’est aussi une éducation par défaut qui ne dit pas son nom et qui induit nécessairement l’acquisition de comportements, de pensées et de savoirs qui nous sont propres et que seule l’invisibilisation empêchait de s’exprimer."5
Voici une courte vidéo de l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH) pour résumer ces propos :
1 Nous utilisons les termes “masculin” ou “féminin” pour décrire les caractères sexués biologiques “mâle” et “femelle” pour les raisons suivantes : les termes “mâles” et “femelles” ont une connotation déshumanisante qui s’attache ici à des personnes ayant un long historique de marginalisation et de déshumanisation ; par ailleurs, nous voulons nous distancier de la récupération des termes “mâle” et “femelle” par les militants anti-genre cherchant à imposer à la société leur vision cis-hétéro-endosexenormative du sexe et du genre qui engendre de la violence et de la discrimination pour toutes les minorité sexuelles, de genres et de sexes.
2 Parmi les caryotypes aneuploides (par opposition aux caryotypes euploides XX et XY), les caryotypes intersexes sont les caryotypes XXX, XXY, XYY et X0.
3 CIA-OII France, Enjeux médicaux et psychosociaux pour les patient·e·s intersexes. Il est également crucial de noter que la catégorisation des caractéristiques sexuées tient son origine de pratiques scientifiques eugénistes profondément racistes. Voir : Historique
4 En tant que parent·e, il est conseillé de prendre rapidement contact avec une association de personnes concernées si l’on diagnostique “une anomalie OGE ou VGE” à votre enfant.
5 Vincent Guillot (2008). Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions
CIA-OII France (2022), Enjeux médicaux et psychosociaux pour les patient·e·s intersexes
UN Free and Equal, Intersex Fact Sheet
OII Europe (2022), Flyer
CIA-OII France (2023), Intersexes ?
Raz Michal et Petit Loé (2023), Intersexes : du pouvoir médical à l’autodétermination
Intersex Belgium, entretien 11/01/24
Aegerter Audrey, Larrieu Gaëlle, Raz Michal (2022), Visibiliser les i sans (en faire une) exception
StopIGM.org, What is IGM
Callens, Motmans & Longman, Onderzoekscentrum voor Cultuur en Gender, Universiteit Gent (2017), IDEMinfo.be
Genres Pluriels, Visibilité intersexe