L’accès de la/du patient·e à son dossier médical est garanti par la loi des droits du patient du 22 août 2002. Toutefois, les personnes intersexuées rencontrent des obstacles significatifs pour accéder à leurs dossiers médicaux, ce qui entrave leur capacité à éclairer des aspects cruciaux de leur histoire médicale.
Le paradigme de Hopkins, né aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XXe siècle et popularisé dans le monde entier comme modèle dominant de prise en charge des personnes intersexuées, préconise de pratiquer des interventions chirurgicales sur les jeunes enfants présentant des variations des caractéristiques sexuées dans un but de "normalisation" puis de les élever dans le secret de leur intersexuation. C’est pourquoi de nombreux adultes intersexué·es dépendent aujourd’hui de l'accès à leur dossier médical pour retracer leur parcours de santé.
Malheureusement, plusieurs facteurs compliquent l'accès complet à ces dossiers médicaux. Parmi eux, on peut citer par exemple la difficulté de retrouver les données médicales d'avant l'ère de la numérisation ou encore la volonté de certain·es professionnel·les de dissimuler des faits médicaux passés. Malgré ces obstacles, il est important de comprendre les droits garantis par la loi.
La loi du 22 août 2002 définit le dossier de patient·e comme un compte-rendu fidèle de la démarche diagnostique et thérapeutique suivie par l’ensemble des professionnel·les de santé qui sont intervenu·es dans la prise en charge d’un·e patient·e. Cela concerne les médecins mais aussi de nombreux·ses autres professionnel·les de santé, tel·les que les dentistes, pharmacien·nes, infirmier·ères, etc. Les psychologues et psychothérapeutes ne sont pas tenu·es de maintenir un dossier de patient·e.
Le dossier médical global, tenu par un·e médecin généraliste, comprend les informations socio-administratives du/de la patient·e, ses antécédents médicaux, une liste de problèmes de santé, les rapports de spécialistes et autres prestataires de soin, ainsi que des résultats d'examens médicaux. Ce dossier doit être tenu à jour et conservé en lieu sûr.
La loi sur les hôpitaux de 1987 exige également la tenue à jour de dossiers médicaux et infirmiers distincts pour chaque patient·e, formant ensemble le dossier unique du/de la patient·e. Ce dossier contient également des informations détaillées sur le/la patient·e, son historique médical et l’entièreté des interventions médicales ayant eu lieu durant son séjour hospitalier. Celui-ci doit être classé de manière adéquate et conservé pendant au moins 30 ans dans l’hôpital.
Les informations contenues dans le dossier médical permettent d'assurer la continuité des soins : tout·e professionnel·le de santé consulté·e peut dès lors disposer des renseignements nécessaires pour effectuer le suivi du/de la patient·e de manière cohérente et efficace.
La loi stipule que chaque patient·e a le droit de consulter et de recevoir une copie de son dossier médical, au plus tard 15 jours après en avoir fait la demande. Toutefois, deux exceptions existent :
Il est maintenant possible d’accéder à certains éléments de son dossier médical par voie électronique via un portail web sécurisé, bien que certains documents nécessitent la présence d’un·e prestataire de soins afin d’en révéler le contenu au/à la patient·e. L’ensemble du dossier patient·e n’est pas partagé en ligne, uniquement les informations jugées pertinentes pour la continuité des soins.
Après le décès d’un·e patient·e, la loi restreint l'accès direct à son dossier médical. Les proches peuvent formuler une demande de consultation indirecte par l'intermédiaire d'un·e médecin, sous certaines conditions.2 Le/la patient·e ne doit pas s'être opposé·e à cette consultation de son vivant. Les proches ne peuvent accéder qu'aux informations pertinentes à leur demande.
Enfin, il est important de noter que les parents ont un droit de regard sur le dossier médical de leur enfant mineur·e, avec certaines restrictions, notamment concernant la santé reproductive (comme la contraception).
Lorsqu’un·e patient·e rencontre des obstacles auprès de professionnel·les/d’institutions de santé pour consulter son dossier médical, iel peut s’adresser à un service de médiation. La/le patient·e peut porter plainte par écrit ou oralement auprès du service de médiation compétent et peut être assisté·e par une personne de confiance. La médiation vise à résoudre le différend entre la/le patient·e et la/le praticien·ne. Si aucune solution n’est trouvée, la/le médiateur·ice informe le/la plaignant·e des autres options disponibles pour traiter sa requête.
La/le médiateur·ice travaille de manière indépendante, qu’iel soit employé·e ou non d’une institution de soins de santé ou d’une plateforme de concertation. Iel est tenu·e de faire preuve de neutralité et d’impartialité tout au long de la procédure de médiation, tout en agissant dans une logique de conciliation. La procédure de médiation est gratuite et confidentielle.
Les parties concernées peuvent arrêter le processus à tout moment pour engager une autre procédure. Les autres instances de résolution de conflit si la médiation n’aboutit pas incluent les mutualités, les Commissions médicales provinciales, les services d’inspection relevant des Communautés et des Régions, l’Ordre des médecins et les tribunaux judiciaires.
Les coordonnées des services de médiation sont disponibles sur le site Internet du SPF Santé.
L'accès au dossier médical est une demande fréquemment formulée par les patient·es intersexes. Cette demande émerge généralement après l'établissement d'une relation de confiance entre la/le patient·e et le/la professionnel·le de santé, généralement un·e médecin généraliste. Cependant, malgré les dispositions légales, l'accès à un dossier médical complet demeure souvent complexe, en particulier lorsqu'il s'agit de dossiers non numérisés. Bien que certains professionnel·les de santé puissent avoir des réticences à divulguer certains éléments, l'explication la plus courante concernant des parties de dossier manquantes réside dans les pratiques de classement pré-numérisation qui n'étaient pas systématisées, entraînant la perte de nombreux dossiers.
Un problème récurrent lors des demandes d'accès aux dossiers médicaux est la méfiance du corps médical, souvent par crainte de poursuites judiciaires. La plupart des patient·es étant passif·ves quant à leurs dossiers médicaux, une demande proactive peut être perçue comme suspecte par les professionnel·les de santé.
Un autre obstacle à l'accès aux dossiers médicaux concerne les personnes ayant modifié leur enregistrement de sexe sur leur carte d'identité, entraînant un changement de numéro national. Ce changement administratif complique souvent l'accès au dossier médical, car le transfert d'informations n'est pas toujours automatisé, particulièrement pour les dossiers non numérisés.
En conclusion, bien que la loi des droits du patient de 2002 garantit théoriquement l'accès au dossier médical, les difficultés pratiques demeurent substantielles pour les personnes intersexuées. Les activistes intersexes plaident donc pour l'inclusion explicite d'un accès complet au dossier médical dans toute législation concernant la prise en charge des personnes intersexuées en Belgique. Une telle mesure est fondamentale pour garantir la transparence, l'autonomie et les droits des patient·es, tout en renforçant la confiance dans le système de santé.
1 L’exception thérapeutique est souvent évoquée lorsque l'information risque d’effrayer le/la patient·e ou de la/le dissuader de recevoir un traitement, alors que celui-ci est objectivement nécessaire. L'exception thérapeutique est temporaire : dès que la communication de l'information ne cause plus de préjudice au/à la patient·e, la/le praticien·ne est tenu·e de la communiquer. Toutefois, l’usage de cette exception thérapeutique étant laissée à l’appréciation du corps médical, il y a matière à craindre qu'elle puisse être utilisée pour renforcer l’invisibilisation des interventions non consenties effectuées sur les personnes intersexuées.
2 La demande de consultation doit être motivée. Elle peut concerner des motifs tels que la prise de connaissance de la cause du décès, un soupçon de faute professionnelle, la contestation du testament, une recherche d'affection héréditaire ou le besoin d'informations pour une assurance-vie.
Staquet Pascal, droitbelge.be, Le dossier médical, le dossier du patient
SPF Santé publique (2017), Loi “Droits du patient”
Réseau Santé Wallon, Mes droits en tant que patient
Dr Maxence Ouafik, entretien 05/03/24
Criscenzo Paolo, Actualités du droit belge (2014), Les exceptions à l’obligation d’informer le patient et de recueillir son consentement