Les droits des personnes intersexuées ne sont actuellement pas garantis dans la législation belge. Cependant, grâce à la pression exercée par des instances internationales et au travail sans relâche des militant·es intersexes, des avancées ont eu lieu ces dernières années et sont à espérer pour les années à venir. À l'échelle mondiale, et en particulier en Europe, des progrès juridiques et sociaux significatifs ont été réalisés, bien que de manière inégale entre les pays.
Les Principes de Jogjakarta sont une série de principes sur l’application du droit international des droits de l’homme. Adoptés en 2006 par l’Organisation des Nations Unies (ONU), ils formulent des recommandations aux Etats-membres visant à prévenir la discrimination et à promouvoir le respect des droits fondamentaux des minorités sexuelles et de genres. Dix principes y ont été ajoutés en 2017 afin de protéger les droits des personnes intersexuées. Ces principes insistent sur le droit à l'intégrité physique et mentale ainsi qu'à l'autodétermination. Ils soulignent également l'importance de l'accès à l'histoire médicale et la reconnaissance des dommages causés par des interventions médicales non consenties.
Durant les quinze dernières années, l’ONU a renforcé sa position contre les interventions de “normalisation” infligées aux personnes intersexuées. En 2015, le Comité contre la Torture a qualifié ces interventions médicales non consenties de “traitement inhumain”. De même, le Comité des droits de l'enfant a dénoncé ces pratiques à plusieurs reprises, les comparant aux thérapies de conversion et les jugeant contraires aux principes de la Convention relative aux droits de l'enfant.
En 2019 et 2020, la Belgique a été condamnée par plusieurs comités de l'ONU1 concernant les interventions de normalisation non consenties sur les enfants intersexué·es, qualifiées de "traitements inhumains, cruels et dégradants". Ces comités ont recommandé l'interdiction de ces pratiques et le report de toute intervention médicale jusqu'à ce que l'enfant puisse donner son consentement libre et éclairé. En 2022, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a également demandé à la Belgique de mettre fin à ces interventions.
En avril 2024, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a adopté une résolution visant à protéger les personnes intersexuées contre la discrimination et la violence. Cette résolution demande également la rédaction d’un rapport détaillé sur les lois et pratiques discriminatoires à travers le monde, ainsi que sur les lois protégeant les personnes intersexuées de façon satisfaisante. Ce premier rapport officiel des Nations Unies sur la situation des personnes intersexuées constituera un outil de sensibilisation important auprès des États-membres.
En 2015, l'Agence des droits fondamentaux (FRA) de l'Union européenne (UE) a publié une étude démontrant que la plupart des États membres ne protègent pas adéquatement les droits fondamentaux des personnes intersexuées. La même année, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe recommandait des mesures légales pour garantir les droits des personnes intersexuées, qui comprenaient la fin des traitements non consentis, un meilleur accès aux informations médicales, la révision des classifications médicales ainsi que la reconnaissance légale et le droit à l’autodétermination des personnes intersexuées.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté en 2017 la résolution 2191, qui vise à éliminer les discriminations à l'égard des personnes intersexuées. Elle questionne l'efficacité des interventions médicales précoces et recommande de retarder celles-ci jusqu'à ce que les personnes concernées puissent donner leur consentement libre et éclairé, soulignant les graves atteintes à l'intégrité physique et les complications médicales qui en résultent, souvent exacerbées par la honte et le secret entourant ces interventions.
Le Parlement européen adopte à son tour une résolution en 2019, condamnant “les traitements et la chirurgie de normalisation sexuelle” et enjoignant les États-membres à garantir la dépathologisation des personnes intersexuées. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a également pris position en 2023 contre les violences médicales et les discriminations institutionnelles subies par les personnes intersexuées dans un arrêt affirmant que ces actes violent plusieurs droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'UE.2 La jurisprudence de la CEDH a généralement un rôle de modèle pour les États-membres et pourrait donc jouer un rôle important dans les avancées futures en faveur des droits des personnes intersexuées.
En mai 2024, le Conseil de l'UE a adopté une proposition législative reconnaissant les variations des caractéristiques sexuées comme un critère protégé par les organismes de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, en matière d'emploi, à travers toute l'Union européenne. Cette législation marque une première reconnaissance officielle de la discrimination que subissent les personnes intersexuées en raison de leur intersexuation.
Selon le rapport "Intersex Legal Mapping Report" publié par ILGA World, seulement 6% des États-membres de l'ONU ont pris des mesures adéquates pour protéger les droits à l'intégrité corporelle et à l'autonomie des personnes intersexuées. Cependant, le rapport observe une augmentation rapide des développements juridiques dans la dernière décennie.
En 2015, Malte est devenu le premier pays au monde à interdire expressément toute intervention médicale sur une personne intersexuée sans son consentement. Cette législation pionnière a ouvert la voie à d'autres pays pour adopter des lois similaires. En 2022, la Grèce et le Kenya ont également adopté des lois interdisant les interventions chirurgicales sur les caractères sexués sans consentement. En Europe, six pays3 ont désormais des lois contre les interventions chirurgicales et/ou médicales sur les mineur·es intersexué·es. Cependant, ces législations sont souvent critiquées par les groupes militants pour leur manque de clarté et l'absence de sanctions en cas de non-respect, ce qui limite leur efficacité réelle.
La situation légale des personnes intersexuées en Belgique demeure largement insuffisante en termes de protection et de reconnaissance des droits fondamentaux. À ce jour, il n'existe pas de législation fédérale spécifique visant à protéger les droits des personnes intersexuées, en particulier en ce qui concerne les interventions médicales non consenties.
En février 2021, la Chambre des représentants a adopté à l'unanimité une résolution recommandant la mise en place d'un cadre législatif pour interdire les interventions chirurgicales sur les mineur·es intersexué·es sans leur consentement éclairé, sauf en situation d'urgence. Cependant, cette résolution ne constitue pas un acte législatif contraignant et n'oblige donc pas le gouvernement à agir en conséquence. Une proposition de loi a été déposée en février 2024 à la Chambre des représentants afin de concrétiser les recommandations de cette résolution, mais celle-ci n’a pas été adoptée.
En février 2020, la loi anti-discrimination entre les hommes et les femmes a été étendue pour inclure les caractéristiques sexuées, offrant ainsi une certaine protection juridique aux personnes intersexuées contre les discriminations. L'organisme chargé de veiller à l'application de cette loi est l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes (IEFH) : celui-ci peut offrir une assistance juridique aux personnes intersexuées victimes de discrimination (voir Droits et discrimination pour plus d’informations).
Au niveau régional, des initiatives ont également été prises, notamment en Flandre. En février 2024, le Parlement flamand a adopté une résolution visant à améliorer la situation des personnes intersexuées. Celle-ci recommande l'établissement d'un centre d'expertise au sein d'un hôpital reconnu pour prendre en charge les enfants intersexué·es. Ce centre serait doté d'une équipe pluridisciplinaire de professionnel·les formé·es et sensibilisé·es aux intersexuations, chargée de fournir des informations complètes et précises aux personnes concernées et à leurs familles. Bien que cette initiative représente une avancée dans la situation juridique des personnes intersexuées en Belgique, elle est critiquée par certaines associations militantes pour son approche pathologisante et son maintien de l'autorité médicale sur les corps intersexués.
Bien que les interventions médicales de “normalisation” ne soient pas explicitement interdites par la loi belge, une série de droits fondamentaux est censée protéger les personnes intersexuées. Ces interventions médicales incluent les opérations sur les organes génitaux externes, les interventions sur les gonades/les organes génitaux internes, les diagnostics prénataux et génétiques qui peuvent conduire à une éventuelle interruption de grossesse ou à la sélection des embryons, l'administration d'hormones aux personnes enceintes dans certains cas potentiels d’HCS, ainsi que l’administration d’hormones à des enfants pré-pubères4. La fréquence de ces interventions reste incertaine, mais elles sont suffisamment courantes pour que la Belgique ait été condamnée par différents comités de l’ONU entre 2019 et 2022.
La constitution belge garantit à chaque enfant le droit à l'intégrité physique (Article 22bis), et la loi sur les droits du patient de 2002 assure le droit au consentement éclairé pour tout traitement médical. Toutefois, pour les mineur·es, le consentement éclairé des parents prévaut, ce qui pose problème lorsque les parents, souvent sous pression médicale, doivent prendre des décisions complexes avec des informations limitées. De plus, les militant·es dénoncent les formulaires de consentement utilisés dans les hôpitaux comme étant de simples formalités administratives, sans réelle vérification de la qualité des informations données et de la compréhension de celles-ci par les patient·es ou leurs tuteur·ices.
Les droits de l'enfant en Belgique stipulent que les mineur·es doivent être impliqué·es dans les décisions médicales les concernant, en fonction de leur âge et de leur maturité, et que les informations fournies doivent être claires et compréhensibles. Cependant, ces dispositions restent largement sujettes à l'interprétation des prestataires de soins, rendant l'application de ces droits plutôt subjective. Le manque de procédures claires et de mécanismes de protection pour garantir un consentement libre et éclairé permet aux professionnel·les de santé de procéder avec une certaine impunité.
Un développement récent marque toutefois un tournant potentiel : en 2023, l'hôpital des enfants Reine Fabiola de Bruxelles (HUDERF) a été condamné suite aux violences médicales subies par une mineure intersexuée. La Cour d'appel a jugé que les praticien·nes n'avaient pas obtenu un consentement libre et éclairé de la part de la mineure et de ses parents, l'intervention ayant été présentée comme la seule option, sans fournir suffisamment d'informations sur les risques et complications possibles. Ce jugement, le premier de ce genre en Belgique, pourrait établir une jurisprudence pour les cas futurs.
En Belgique, la déclaration de naissance à l'état civil inclut l'obligation d’enregistrer un sexe5 binaire (M ou F) pour chaque enfant. Cette déclaration doit être effectuée dans les 15 jours suivant la naissance, le sexe de l'enfant étant déterminé par un professionnel de santé sur la base d'un examen rapide des organes génitaux externes. L’article 48 du Code civil accorde aux parents un délai supplémentaire de trois mois6 pour des raisons médicales. Néanmoins, le choix du prénom ne peut, lui, être postposé. Le délai légal pour déclarer un prénom est d’une semaine maximum.7 Les parents d'enfants intersexué·es subissent donc des pressions institutionnelles dès la naissance de l’enfant pour la/le faire entrer dans une case binaire, qui peuvent les conduire à consentir à des interventions médicales visant à “normaliser” le corps de leur enfant.
Dans d'autres pays, des systèmes incluant un troisième enregistrement de sexe ont été mis en place, comme le marqueur "X" en Allemagne. Toutefois, ces systèmes se révèlent souvent insatisfaisants et discriminatoires, car ils imposent une étiquette qui permet d’identifier rapidement et donc de marginaliser les minorités de genres et de sexes. De plus, la plupart des personnes intersexuées sont cisgenres. Le manque de distinction claire entre le sexe et le genre dans le système belge peut entraîner des confusions supplémentaires. L'ajout d'un troisième enregistrement de sexe ne fait qu'étendre un système de catégorisation fondé sur l'autorité médicale et institutionnelle.
Les militant·es intersexes prônent plutôt l'abolition complète de l'enregistrement du sexe à l'état civil. Iels soulignent que la mention du sexe sur les documents d'identité peut constituer un risque de violence et de discrimination intersectionnelles pour les personnes dont l'expression de genre est jugée non conforme aux normes sociales. L'argument souvent avancé pour maintenir l'enregistrement du sexe est son utilité pour les statistiques liées à la lutte contre les inégalités femmes/hommes. Cependant, d'autres critères d'inégalité sociale, tels que la religion, le handicap et l'orientation sexuelle, sont déjà mesurés sans être enregistrés à l'état civil, ce qui suggère que des alternatives existent pour collecter les données nécessaires tout en respectant la vie privée des personnes intersexuées.
Les groupes de défense des droits des personnes intersexuées en Belgique8 militent activement pour une meilleure protection et reconnaissance juridique des personnes concernées. Iels demandent la promulgation d'une loi qui garantit les droits fondamentaux des personnes intersexuées, en particulier le respect de leur intégrité physique et de leur autodétermination. Cette législation devrait interdire strictement les interventions médicales de “normalisation” effectuées sans consentement éclairé, en instituant des sanctions claires en cas de violation. Les victimes de telles interventions devraient avoir accès à des recours et à des réparations, sans limitation de temps. La mise en place de mécanismes de contrôle stricts et indépendants est également nécessaire pour réduire les violations de ces droits.
Les militant·es intersexes insistent également sur l’importance d'utiliser un langage non pathologisant dans le texte de loi. Cela contribue à éviter la stigmatisation et à promouvoir une approche respectueuse des réalités intersexes.
En outre, l'obtention du consentement préalable, explicite, libre et éclairé des personnes intersexuées avant toute intervention médicale doit être assurée. Cela nécessite l'élaboration de protocoles prenant en compte les droits des enfants et des patient·es, et la présentation d'informations complètes et non pathologisantes à toustes les acteur·ices de la prise de décision (parents et enfants), idéalement en dehors du milieu hospitalier.
Pour assurer des soins de qualité aux personnes intersexuées, la formation des professionnel·les de santé aux intersexuations est indispensable, ainsi que celle des accompagnant·es psychosociaux·ales. Un accompagnement psycho-médico-social tout au long de la vie des personnes intersexuées devrait être mis en place pour contrer l’évitement médical causé par les violences subies par le passé. En outre, les militant·es soulignent que les personnes intersexuées doivent avoir un accès complet à leur dossier médical, comme le prévoit la loi des droits du patient de 2002.
La sensibilisation et l'information sur les réalités des personnes intersexuées devraient être promues dans toutes les sphères de la société, en particulier dans les écoles. Des aménagements spécifiques devraient être mis en place pour garantir l'inclusion des personnes intersexuées, notamment dans le domaine du sport. Cette approche intégrée est essentielle pour créer une société plus inclusive et respectueuse des droits de tous ses membres.
Bien que la Belgique ait entrepris des efforts pour développer un cadre juridique plus inclusif pour les personnes intersexuées, des lacunes subsistent. La mise en place d'une législation spécifique et d'une sensibilisation accrue est cruciale pour garantir pleinement les droits et le bien-être des personnes intersexuées. La protection de ces droits repose sur l'acceptation sociale des variations intersexes, la reconnaissance du droit à l'autodétermination de chaque individu, la remise en question du pouvoir médical sur les corps intersexués, et la reconnaissance des torts causés par les interventions non consenties.
1 Le Comité des droits de l’enfant (février 2019), le Comité des droits de l’homme (décembre 2019) et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (mars 2020).
2 Parmi ces droits figurent la dignité humaine (art 1), le droit à l'intégrité (art 3), le respect de la vie privée et familiale (art 7), le droit à fonder une famille (art 9), la protection contre les discriminations (art 21), et les droits spécifiques des enfants à la protection, aux soins nécessaires à leur bien-être, et à l'expression libre de leur opinion en fonction de leur âge et de leur maturité (art 24).
3 Malte, Allemagne, Grèce, Islande, Portugal, Espagne. Seuls 2 de ces 6 pays prévoient des sanctions en cas de violation : Malte et la Grèce.
4 Plus d'informations sur les interventions médicales effectuées sur les personnes intersexuées et leurs conséquences dans cet article.
5 Le système actuel ne fait pas de distinction légale entre le sexe biologique et le genre, ce qui en fait un obstacle pour les personnes intersexuées, mais aussi pour les personnes transgenres et/ou non-binaires.
6 Ce délai peut également être reporté de trois mois en trois mois avec justification médicale. Source : Intersex Belgium, entretien 23/05/24
7 Il existe des procédures pour modifier son prénom et l'enregistrement du marqueur de sexe à l’état civil plus tard dans la vie, que nous aborderons dans l’article Droits et discrimination.
8 En Belgique, les associations luttant spécifiquement pour les droits des personnes intersexuées sont Intersex Belgium, Genres Pluriels et Intersekse Vlaanderen.
Raz Michal et Petit Loé (2023), Intersexes : du pouvoir médical à l’autodétermination
OII-Europe (2020), Protéger les personnes intersexes en Europe : guide pour les législateur·ice·s et les décideur·euse·s politiques
UN Human Rights Office of the High Commissioner (2022), Violations des droits humains contre les personnes intersexes
StopIGM.org (2019), Mutilations génitales intersexes : l’ONU réprimande la Belgique et le Mexique
OII-Europe (2024), United Nations addresses the human rights of intersex persons in ground-breaking resolution
Callens, Motmans & Longman, Onderzoekscentrum voor Cultuur en Gender, Universiteit Gent (2017), IDEMinfo.be
OII-Europe (2024), First-ever inclusion of sex characteristics in binding EU legislation
Fugues (2024), Peu de protection dans le monde pour les personnes intersexes
Derave Charly (2022), Le Soir : Agir pour garantir l’intégrité corporelle des personnes intersexuées
7sur7.be, Ecolo dépose une proposition de loi visant à protéger les enfants intersexes
Genres Pluriels (2024), Résolution intersexe votée au parlement flamand
StopIGM.org, https://stopigm.org/what-is-igm/
Ligue des droits humains (2023), La justice condamne un hôpital bruxellois pour des traitements médicaux « normalisateurs » sur une personne mineure intersexe
Genres Pluriels (2023), La justice condamne un hôpital bruxellois pour des traitements médicaux « normalisateurs » sur une personne mineure intersexe
Intersex Belgium, entretien 11/01/24
Genres Pluriels (2024), Nos revendications