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Inclusion dans les mouvements LGBTQIA+

Origine de l'inclusion du mouvement intersexe dans les luttes LGBTQIA+

Les minorités sexuelles, de genres et de sexes ont historiquement été confrontées à une pathologisation et à un effacement systématiques. Les personnes intersexuées en particulier subissent une marginalisation prononcée car leur existence remet en question la vision cis-hétéro-endosexnormative qui dit qu’il n’y a que deux sexes dont découlent des normes genrées absolues et immuables. Cette même structure normative est source de marginalisation pour les minorités sexuelles, romantiques et de genres, soulignant un problème systémique dans la reconnaissance et l'acceptation de la diversité des identités.

La culture militante intersexe a trouvé ses racines et ses alliances au sein des mouvements LGBTQ+ durant les années 90. Les communautés militantes LGBTQ+, et spécifiquement les mouvements transgenres, ont contribué à la politisation de l'identité intersexe et ont apporté un soutien matériel à cette communauté. En 2008, l'organisation de défense des droits LGBTQ+ ILGA a été la première organisation internationale à intégrer les préoccupations intersexes en son sein, renforçant ainsi la solidarité et les alliances politiques entre les mouvements LGBTQ+ et les militant·es intersexes à l'échelle mondiale.

L'objectif de cette solidarité politique est clair : renforcer la protection des droits des personnes intersexuées au sein d'une coalition de minorités sexuelles, de sexes et de genres qui partagent des objectifs politiques similaires, tels que la dépathologisation et la lutte contre la discrimination. Cette alliance vise également à accroître la visibilité sociale et la reconnaissance des personnes intersexuées. Toutefois, il est important de reconnaître que les besoins et les expériences des personnes intersexuées sont uniques et méritent une attention spécifique, tout comme chaque groupe représenté dans l'acronyme LGBTQIA+.

Spécificités des réalités intersexes

Bien que les normes qui ont criminalisé et pathologisé les minorités sexuelles, de sexes et de genres soient communes, l'expérience spécifique de médicalisation forcée et d'invisibilisation sociale vécue par les personnes intersexuées constitue une différence fondamentale entre leurs luttes et celles des autres membres de la communauté LGBTQIA+. Tandis que l'amélioration des soins médicaux est centrale pour la communauté LGBTQ+ dans les sociétés occidentales, les personnes intersexuées luttent principalement pour mettre fin aux interventions médicales non consenties sur leurs corps, qui visent une "normalisation" sans fondement thérapeutique.

Les enjeux spécifiques des luttes intersexes ne permettent pas le simple élargissement des protections légales prévues pour les personnes LGBTQ+ aux personnes intersexuées, car celles-ci ne couvrent pas adéquatement les réalités intersexes, qui nécessitent des approches ciblées et inclusives.

Les luttes spécifiques des personnes intersexuées demeurent largement inconnues du grand public et ne sont pas toujours bien comprises au sein des communautés LGBTQA+, même celles qui ont intégré le “I” en leur sein. Lorsqu'on recherche le terme "LGBTI" en ligne, par exemple, les résultats tendent principalement à aborder des thématiques LGBTQ, telles que le mariage, la prévention des IST ou les crimes de haine, laissant les problématiques intersexes en périphérie. Un travail de visibilisation des réalités vécues par les personnes intersexuées est nécessaire au sein de la communauté, tout en évitant le tokenisme.

Quand les luttes des personnes intersexuées sont reconnues au sein du mouvement LGBTQA+, elles sont parfois instrumentalisées, notamment dans les débats autour du genre. L’utilisation de l'intersexuation pour déconstruire la binarité du sexe et du genre et justifier l’existence des personnes non-binaires, occulte les besoins et les voix des personnes intersexuées elles-mêmes, qui se battent pour ne pas être réduites à des cas d'étude pour les questions de genre. En ne reconnaissant pas l’expertise des personnes intersexuées sur leurs vécus et expériences, on manque l'opportunité de créer des mécanismes adaptés pour les soutenir dans leur recherche d'informations et leur besoin de se regrouper et de partager leurs expériences.

De plus, l'identification avec les symboles et les valeurs des communautés LGBTQA+ ne se fait pas toujours naturellement pour les personnes intersexuées, qui peuvent se sentir marginalisées au sein de ces espaces. Cette situation engendre parfois une méfiance ou une réticence vis-à-vis de l'acronyme LGBTQIA+, même si les mouvements LGBTQIA+ sont souvent une source de soutien financier indispensable pour les activistes intersexes. C’est pourquoi certains groupes militants intersexes préfèrent distinguer le "I" du reste de l'acronyme, afin de mieux visibiliser leurs expériences.

Enfin, les différences d’acceptation géographiques influencent les alliances stratégiques des mouvements intersexes. Dans les sociétés occidentales où les droits des personnes LGBTQ+ sont mieux protégés, il peut être plus aisé pour les militant·es de se distinguer de l’acronyme LGBTQIA+ afin d'adresser les enjeux spécifiques des personnes intersexuées. Dans d’autres régions du monde où l’amalgame entre genre, sexe et sexualité est omniprésent, la solidarité politique LGBTQIA+ est indispensable et parfois vitale.

Les personnes intersexuées face à la communauté LGBTQIA+

L'intégration des personnes intersexuées dans l'acronyme LGBTQIA+ présente un autre défi notable : la majorité des personnes intersexuées ne s’identifient pas comme LGBTQA+. La plupart d'entre elles se définissent comme hétérosexuelles/hétéroromantiques et cisgenres et ne désirent pas être groupées avec les minorités sexuelles/romantiques et de genres, dans un contexte où l'intersexuation est encore fréquemment confondue avec une orientation sexuelle ou une identité de genre.

Cette confusion pose particulièrement problème pour les parents d'enfants intersexué·es. Iels peuvent percevoir l'association de l'intersexuation avec l'acronyme LGBTQIA+ comme un obstacle dans leur quête d'informations, de soutien ou de connexion avec des groupes de personnes concernées. Motivé·es par des inquiétudes concernant l'orientation sexuelle ou l'identité de genre future de leur enfant, ces parents pourraient opter pour davantage d’interventions médicales sur leur enfant, reproduisant les injonctions médicales à entrer dans la norme.

En outre, le concept de fierté est important pour la communauté LGBTQA+, mais le sentiment de "fierté" intersexe est complexe pour beaucoup de personnes concernées, qui associent souvent leur intersexuation à des expériences traumatisantes et à une source d'invalidation constante. Beaucoup aspirent à s'intégrer dans la “norme”, cherchant à éviter la marginalisation de leur corps et de leur identité. Ces personnes ne visent pas nécessairement à revendiquer une fierté, mais simplement à dépathologiser leur existence.

D’autres façons de faire communauté

Au fil des dernières décennies, de nouveaux collectifs de personnes intersexuées se sont formés autour de paradigmes spécifiques, influencés par leurs interactions avec d'autres mouvements militants, tels que les droits des enfants, les droits reproductifs, les droits des patient·es, ou les luttes féministes contre les mutilations génitales. Ces groupes diversifient l’éventail des luttes intersexes en s'alignant ou en dialoguant avec des causes variées, enrichissant leur approche militante.

Suite au découpage de l’intersexuation en syndromes, des groupes de patient·es ont été créés pour faire valoir leurs droits, tantôt en opposition tantôt en collaboration avec le corps médical. Même s'ils sont centrés sur des enjeux de santé particuliers, ces groupes parviennent parfois à tisser des alliances étendues, influençant les pratiques médicales au-delà de leurs préoccupations immédiates. Les membres de ces groupes se perçoivent souvent comme étant "malades" plutôt que "intersexes", percevant ce terme comme stigmatisant.

Vers une meilleure inclusion

La lutte LGBTQIA+ se positionne contre les normes patriarcales qui privent les individus de leurs droits sur leur propre corps et leur autodétermination. Dans cette optique, et en considérant les personnes intersexuées comme ayant vécu une expérience sociale d'invalidation similaire, leur intégration dans le mouvement LGBTQIA+ est justifiée, indépendamment de leur identification en tant que cisgenres ou hétérosexuelles. Selon l’Organisation Internationale Intersexe (OII), le mouvement intersexe doit “converger avec les autres luttes LGBTQ+ ayant contribué à visibiliser le terme intersexe et à le politiser.

Néanmoins, l'intégration du "I" dans l'acronyme LGBTQIA+ nécessite une reconnaissance et une adaptation aux besoins spécifiques des personnes intersexuées pour éviter leur invisibilisation ou l’instrumentalisation de leurs luttes. Pour guider cette intégration, l'OII propose des directives destinées à faciliter l'inclusion des activistes intersexes dans les organisations LGBTQIA+, tout en mettant en évidence la nécessité de protéger leur bien-être physique et psychologique. Ces recommandations incluent l'établissement de collaborations étroites avec les associations et militant·es locaux·ales et internationaux·ales, un soutien actif garantissant leur participation et la prise en compte de leurs voix et expertises, ainsi que la création et le maintien de milieux de travail inclusifs et stables pour prévenir l’épuisement militant et le tokenisme.

Sources

Raz Michal et Petit Loé (2023), Intersexes : du pouvoir médical à l’autodétermination

Aegerter Audrey, Larrieu Gaëlle, Raz Michal (2022), Visibiliser les i sans (en faire une) exception

Callens, Motmans & Longman, Onderzoekscentrum voor Cultuur en Gender, Universiteit Gent (2017), IDEMinfo.be

Koyama Emi, Intersex Initiative, Adding the “I” : Does Intersex Belong in the LGBT Movement ?

Intersex Belgium, entretien 11/01/24

INIA closing conference, opening talk 31/01/24, https://intersexnew.co.uk/

Guillot Vincent (2008), Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions

Bosman Thierry, StopIGM.org (2018), Intersex Genital Mutilations. Human Rights Violations of Children with Variations of Sex Anatomy

OII Europe (2023), Making LGBTQ(I) Organisations Intersex Inclusive

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