Les études queers (“queer studies”) ou études LGBTQIA+ sont un champ d’études académiques se focalisant sur les questions de sexualité et d'identité de genre. Le développement des études queers est fortement lié à celui des études de genre, mais ces deux domaines s’écartent l’un de l’autre sur certains points. En effet, les études de genre, souvent focalisées sur les questions féministes d’(in)égalité entre hommes et femmes, ont théorisé le genre comme une relation binaire marquée par un rapport inégal entre un dominant (le masculin) et un dominé (le féminin). Cette hiérarchie, qui est donc une construction sociale, est ensuite en quelque sorte naturalisée en l’identifiant au genre et au sexe biologique. À l’opposé, les études queers se sont intéressées à l’histoire et à la célébration d’identités multiples, les considérant comme propres à l’individu même si elles font partie d’un réseau de relations de pouvoir structurant la société.
Exemple concret : l’hétérosexualité est souvent caractérisée au sein des études de genre comme un processus normatif qui permet de réifier (c’est à dire de “fixer”) les identités “hommes” et “femmes”. L’homosexualité peut alors être identifiée comme une pratique politique anti-normative qui remet en même temps en question les normes de genre. On peut par exemple voir le mouvement du lesbianisme politique de la fin des années 60 comme un exemple de cette pensée. Monique Wittig est un fer de lance de ce mouvement. Dans “la pensée straight”, elle affirme ainsi que “les lesbiennes ne sont pas des femmes”, car la catégorie “femme” est un produit de la domination hétérosexuelle, et “ce qui fait une femme c’est une relation sociale particulière à un homme, […] relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles”.
Cependant, cette interprétation va à l’encontre du ressenti de nombreuses personnes homosexuelles, qui voient leur sexualité comme entièrement séparée de leur identité de genre ou des rapports de domination homme/femme, et qui ne voient pas non plus leur sexualité comme politique. Les études queers vont également complexifier le discours en cherchant à sortir des oppositions binaires, par exemple en amenant sur la table la question de la bisexualité. En décentrant le discours de la domination homme/femme, les études queers permettent donc une analyse plus complète de la signification sociale des identités LGBTQIA+, des cultures propres qui y sont liées et de l’histoire spécifique de ces communautés.
Les études queers sont fondamentalement pluridisciplinaires. C’est un domaine dans lequel se rassemblent des chercheur·euse·s en histoire, en littérature, en sociologie, en archéologie, en sciences politiques,…
Les théories queers (ou “la” théorie queer, terme issu de l’anglais “queer theory” mais qu’il serait sans doute plus juste de traduire par “théorisation queer”) sont une forme de critique, un angle d’analyse qui est cultivé afin de faire émerger les différentes structures de pouvoir qui organisent la société. Cette critique est élaborée en plaçant les expériences queers au centre de l’analyse. Par queer est entendu ici le sens académique du terme, c’est à dire tout ce qui remet en question les normes de sexualité, de genre et de caractéristiques sexuées. Le principe des théories queers est donc non pas d’étudier les comportements et identités marginales à partir du point de vue de la norme, mais plutôt de développer un point de vue à partir de la marge qui permet de remettre en question cette norme.
Si le terme “queer theory” n’est apparu qu’en 1991, on attribue souvent à l’ouvrage Histoire de la sexualité (1976) de Michel Foucault un rôle de précurseur. L’auteur français a en effet été l’un des premiers à théoriser la sexualité comme une construction discursive plutôt que comme la marque d’une identité essentielle. Plus spécifiquement, il analyse la “gestion” de la sexualité via le discours. Ce dernier légitimise certaines formes de sexualité, en délégitimise d’autres, et crée ainsi des relations de pouvoir qui vont structurer la société. Selon Foucault, c’est via le discours, via le langage que l’hétérosexualité (ou une certaine forme d’hétérosexualité) est naturalisée, une naturalisation qui tend à effacer les mécanismes de pouvoir et de contrôle qui la rendent possible.
La notion de pouvoir est donc une question centrale des théories queers. Celles-ci sont en effet critiques de tout système de normes qui tend à une hiérarchisation des pratiques humaines. Cette critique porte aussi bien sur les normes liées à l’identité de genre que celles concernant l’orientation sexuelle, ou même les pratiques relationnelles et sexuelles. Ces régimes de normes ne sont pas vus comme structurant uniquement ce qui a directement trait au genre ou à la sexualité, mais comme des structures de pouvoir qui organisent plus globalement la société. L’hétéronormativité n’est donc pas seulement comprise comme une présupposition de l’hétérosexualité “par défaut”, mais comme un facteur d’organisation sociale, politique, économique ou même temporelle.
Au-delà de la critique des régimes normatifs, un des concepts centraux développé dans les théories queers est celui de la fluidité. En effet, en remettant en question toute forme de normes, ces théories remettent également en question la fixité de toute catégorie d’identification. L’idée est qu’aucune catégorie d’identité fixe ne parviendra à rendre compte de la complexité d’une personne, et que se rattacher à ces catégories ne fait que créer de nouveaux systèmes normatifs. Au lieu de cela, les théories queers tentent de déstabiliser le système de catégorisation, soit en encourageant une démultiplication infinie des catégories, soit en abolissant entièrement le concept de catégorie identitaire.
Toutes les personnes LGBTQIA+ ne sont pas d’accord avec ces concepts, et c’est pourquoi il est important de séparer études queers ou LGBTQIA+ et théories queer. Par exemple, les théories remettant en question la stabilité des catégories de genre, comme la théorie de la performativité de Judith Butler, ont été vivement critiquées par certaines chercheur·euse·s et activistes trans. L’élément principal de ces critiques est que la déstabilisation des identités ne serait à l’heure actuelle pas encore une stratégie politique viable quand l’accès à certains droits de base (non-discrimination, accès aux soins) est encore loin d’être garanti pour la plupart des personnes trans.
Un autre exemple est l’opposition entre certain·e·s chercheur·euse·s qui tente de prouver l’argument que l’on “naît gay”, et les théoricien·ne·s queers qui insistent plutôt sur la fluidité des orientations sexuelles. Il est donc important de garder à l’esprit que les théories queers ne font pas l’unanimité et qu’elles ne sont qu’une forme de stratégie politique qui coexiste au sein des mouvements LGBTQIA+ avec certaines formes d’essentialisme stratégique ou même certaines injonctions à la normativité.
Une autre critique parfois faite aux théories queers est qu’elles finissent par décentrer les personnes qui étaient à leur cœur. En effet, les théories queer peuvent s’appliquer à un domaine extrêmement large, qui n’est pas confiné aux identités LGBTQIA+. Certain·e·s ont donc peur que les intérêts de ces communautés finissent par être effacés du discours académique. De même, certain·e·s reprochent aux théories queers leur abstraction. Elles seraient devenues trop absorbées par des préoccupations théoriques et trop éloignées des réalités quotidiennes des individus.
Quoi qu’il en soit, les études et théories queers sont des disciplines mouvantes et complexes. Leurs contradictions internes n’enlèvent rien à l’impact qu’elles continuent d’avoir, autant sur les individus que sur d’autres disciplines.
Merci au collectif Let's Talk About Non-binary pour son aide à la rédaction de cet article.
https://guides.library.illinois.edu/queertheory/background
Foucault, Michel. Histoire de la sexualité, 1976, Éditions Gallimard.
Wittig, Monique. La Pensée straight, 2001, Éditions Balland.