Les relations homosexuelles et la fluidité du genre existent depuis l’aube de l’humanité et nous avons aujourd’hui des indications historiques de l’acceptation de ces personnes “queers” dans des cultures anciennes. Toutefois, au sein de la culture européo-centrée qui s’est établie comme dominante depuis les époques coloniales et industrielles, c’est plutôt les persécutions, la honte et le secret qui ont été le lot de celleux qui ne se conformaient pas à un modèle cis-hétéro-normé.
À chaque époque, il y a eu des personnes qui ont résisté aux normes liées au genre et à la sexualité. Il serait impossible de retracer l’histoire de chacun de ces actes de rébellion. Plus récemment par contre, des personnes ont commencé à se rassembler pour créer un mouvement de résistance publique à l’hétéro- et la cisnormativité. Cette section a pour but de tracer un bref historique des luttes queer, dans le monde et en Belgique, en mettant en avant les groupes qui se sont fait remarquer par leurs messages anti-assimilationnistes.
« C'était une rébellion, un soulèvement, un acte de désobéissance civile, pas une foutue émeute » - Stormé DeLarverie
S’il faut marquer d’un début le développement du mouvement queer moderne, l’événement le plus généralement cité est celui des émeutes de Stonewall, aussi appelées “Libération de Christopher Street.” Cet événement a eu lieu au Stonewall Inn, un bar du Greenwich Village, quartier queer de Manhattan (New-York). Il n’était pas rare que ce bar soit sujet à des descentes de police : il appartenait à la mafia et ne respectait pas les lois interdisant de servir de l’alcool aux homosexuel·les, de laisser deux personnes de même sexe danser entre elleux ou de se travestir.
La nuit du 27 au 28 juin 1969, une nouvelle descente de police a lieu. Le bar est évacué, et les policiers arrêtent toute personne ne possédant pas sa carte d’identité ou portant des vêtements considérés comme inappropriés pour son sexe. Alors qu’une lesbienne butch se débat face à la police, encourageant les gens alentour à réagir, elle se fait frapper et jeter dans un fourgon. La foule finit par réagir et se retourne contre les policiers, les forçant à reculer et à se barricader à l’intérieur du bar. Chants, cris et jets de pierres et de bouteilles accompagnent la révolte, jusqu’à l’arrivée de la police anti-émeutes et - après plusieurs heures – la dispersion de la foule. L’événement fut couvert par différents journaux, qui aidèrent à propager la nouvelle. Des altercations supplémentaires eurent donc lieu le soir d’après ainsi que les jours qui suivirent.
Les émeutes de Stonewall n’étaient pas le premier acte de rébellion contre le harcèlement homophobe et transphobe. D’autres exemples sont l’émeute du Cooper Do-nuts en 1959 ou l’émeute de la cafétéria Campton en 1966. Cependant, Stonewall marqua les esprits grâce à son retentissement médiatique et surtout grâce au travail de mémoire qui s’organisa autour de l’événement. En effet, dès 1970, un événement fut organisé pour commémorer l’anniversaire des émeutes. Le “Chistopher Street Liberation Day” fut marqué par des marches non seulement à New York mais également à Los Angeles et à Chicago. Ces commémorations ont mené à l’établissement de Prides annuelles dans de nombreux pays.
Il est à noter que, pour de nombreux homosexuels plus âgés qui avaient œuvré tout au long des années 1960 pour promouvoir les personnes homosexuelles comme n'étant pas différentes des personnes hétérosexuelles, la violence et “l’étalage” de comportements efféminés durant les événements de Stonewall, tout comme la présence de “drags”, étaient embarrassants. Ces actions allaient en effet à contre-courant d’une volonté d’assimilation dans une société cis-hétéro-normée qui émanait d’autres parties du mouvement gay.
Le premier événement marquant de l’histoire du mouvement queer belge est la fondation du CCB (Centre Culturel Belge) en 1953. Fondé par Suzan Daniel, le CCB était un espace de rencontre et de soutien pour les personnes homosexuelles. Il sera rapidement remplacé par le CCL (Centre de Culture et Loisir, COC en néerlandais). Ces organisations étaient plus concentrées sur la socialisation que sur le militantisme. Il n’en reste que, dans un contexte où l’homosexualité était encore un tabou, l’existence d’espaces où les personnes homosexuelles pouvaient se regrouper entre personnes homosexuelles représentait une étape importante dans la prise de conscience politique.
Différents groupes se succédèrent au fil des ans et dans différentes villes. C’est dans les années 70 que les groupes de personnes homosexuelles belges ont commencé à gagner en visibilité et en militantisme. Deux événements marquants de cette époque sont l’organisation du premier “Homodag” par l’organisation homosexuelle de gauche “De Rooie Vlinder” à Gand en 1978, ainsi que l’organisation de la première marche des fiertés en 1979 à Anvers.
L’un des éléments qui aura uni les différents groupes de personnes homosexuelles, qu’ils soient ouvertement militants ou un peu moins, était la remise en cause de l’article 372bis, article de loi qui interdisait les contacts homosexuels entre personnes de moins de 18 ans, alors que l’âge du consentement pour les hétérosexuels était de 16 ans.
Cependant, le mouvement belge commença à s’épuiser assez vite, à cause de dissensions internes mais également d’un contexte économique et politique fortement défavorable.
Pour plus d’informations sur l’histoire des mouvements queers en Belgique, nous vous invitons fortement à consulter le site web “Holebipioniers”, hélas uniquement disponible en néerlandais.
Au début des années 80, c’est la crise du SIDA qui va prendre le devant de la scène et le plus influencer à la fois les discours concernant les personnes queers et l’activisme de ces dernières. Un des premiers noms donnés au SIDA, dès 1981, sera le “GRID” ou “Gay-Related Immune Deficiency” marquant clairement le lien fait entre le syndrome et les populations à ce moment-là les plus touchées : les hommes homosexuels. Cependant, la maladie touche rapidement d’autres populations et est renommée SIDA (Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise). Le VIH, virus causant le SIDA, est découvert en 1983.
Les populations à l’époque les plus touchées par le VIH (personnes queer, consommateur·ice·s de drogues, travailleur·euse·s du sexe,…) étant déjà stigmatisées dans la société, la menace de la maladie (ce “cancer gay” qui risquerait d’être transmis aux hétérosexuel·le·s) n’a fait que les marginaliser encore plus. Face au manque de mesures prises par les gouvernements et autorités médicales, les patient·e·s et leurs proches commencent à s’organiser par elleux-mêmes. Les associations de luttes contre le SIDA sont généralement portées par des personnes homosexuelles, qui se forment en expertes grâce à leur propre expérience de la maladie et tiennent tête aux industries pharmaceutiques afin de rendre les traitements plus accessibles.
La crise du SIDA a donc eu différents impacts sur le mouvement queer au cours du temps : au début, l’attention accrue posée sur les communautés queers a forcé celles-ci à retomber dans un silence duquel elles avaient à peine réussi à s’échapper. Cependant, la réalisation que du silence ne viendrait que la mort et la nécessité de s’organiser en tant que communauté pour faire face à l’épidémie a réussi à rassembler les personnes autour d’une lutte commune. Des groupes sont fondés pour partager des informations de prévention de manière non-stigmatisante, pour proposer de l’aide aux malades, et pour faire pression sur les autorités politiques et médicales.
Dans ce cadre, la médiatisation dramatique de l’épidémie est détournée à des fins militantes. Des groupes comme Act Up choisissent de travailler à l’aide d’actions hyper-visibles afin de forcer les autorités et les populations moins concernées à réagir à l’épidémie. Des actions comme l’installation d’un préservatif géant sur l’obélisque de la Concorde à Paris ou les “die-ins” organisés à travers le monde ont forcé le grand public à ouvrir les yeux par rapport à l’épidémie et aux personnes luttant contre celle-ci. L’activisme des groupes comme Act Up était visible, bruyant et disruptif. Il s'éloignait fortement des actions de beaucoup de groupes homosexuels qui avaient précédé, qui concentraient leurs efforts sur l’idée de donner une “bonne image” de l’homosexualité, une image qui permettrait l’assimilation dans une société existante. À l’opposé, les membres d’Act Up n’avaient pas peur de choquer, de réclamer une vie selon leurs propres termes. Loin de plaire à tout le monde à l’époque, même à certain·e·s malades elleux-mêmes, cette stratégie a tout de même permis de marquer les esprits, de faire sortir les personnes homosexuelles de l’ombre, et de montrer qu’une politique anti-assimilationniste était possible et pouvait être désirée.
L’épidémie du SIDA a également eu un impact sur les manières de faire communauté. Les dissensions ont toujours existé au sein des communautés LGBTQIA+, chaque sous-communauté ayant ses propres intérêts à défendre qui entrent parfois en conflit avec ceux des autres. Particulièrement, l’activisme des hommes gays et celui des lesbiennes a souvent été séparé. Ces dernières ont souvent critiqué le sexisme qu’elles subissaient au sein du mouvement gay et ont préféré s’organiser au sein des mouvements féministes de la seconde vague (au sein duquel elles ont aussi été marginalisées par ailleurs, des activistes lesbiennes comme Rita Mae Brown ayant été exclue du NOW, National Organization for Women, avant d’y être ré-intégrées un peu plus tard). On aurait pu penser que l’épidémie du SIDA allait encore plus diviser ces différents groupes, puisque la maladie a – en Occident et à l’époque - principalement touché les hommes homosexuels. Cependant, des lesbiennes se sont organisées pour offrir la solidarité nécessaire et refusée aux hommes gays souffrant de la maladie, par exemple en leur rendant visite dans les hôpitaux ou en organisant des actions massives de don de sang. C’est d’ailleurs la solidarité accrue entre les deux groupes (gays et lesbiennes) qui a conduit à une montée du féminisme tant chez les lesbiennes que chez les hommes homosexuels. Les hommes et les femmes de la communauté étant beaucoup plus réceptifs aux idées féministes, et le rôle des lesbiennes pendant l’épidémie étant reconnu par toute la communauté, l’acronyme GLBT a pris à ce moment sa forme actuelle LGBT. La lutte contre le SIDA a donc été un exemple concret d’activisme queer qui a effacé les frontières entre identités. Il faut toutefois noter que ce n’est qu’en 1993 que la bisexualité a été formellement inclue dans les marches des fiertés, et que les personnes trans ont dû protester pendant de nombreuses années pour être pleinement reconnues au sein du mouvement, alors même que des femmes de couleur transgenres et de genre non-conforme, telles Marsha P. Johnson, Sylvia Rivera et Miss Major Griffin-Gracy se trouvaient au premier plan des émeutes de Stonewall et des mouvements de la fin des années 60.
Il a existé et existe encore aujourd’hui de nombreux collectifs se revendiquant comme queers. Ces collectifs s’organisent tant à des fins activistes que pour faire communauté et créer des espaces d’expression libre et créative. Nous reprenons dans cette section quelques exemples de collectifs historiques marquants, mais cette liste est profondément incomplète. A celle-ci s’ajoutent également de nombreux groupes actifs aujourd’hui.
Le mouvement des Radical Faeries (“fées radicales”) est né aux États-Unis à la fin des années 70, s’insérant dans le paysage contre-culturel de la révolution sexuelle de l’époque. Il s’agit d’un mouvement de spiritualité laïque qui s’oppose à “l’hétéro-imitation” et la commercialisation de la culture gay. Iels sont également rattaché·e·s à certains mouvements environnementalistes. Plusieurs “sanctuaires” continuent à accueillir des rassemblement de fées radicales aujourd’hui, dont notamment Folleterre en France.
Groupe d’action directe non-hiérarchique et décentralisé, fondé en 1990 à New-York. Parmi ses membres fondateurs, on retrouve de nombreux·ses activistes issu·e·s d’ACT UP. Iels mettent en place différentes actions de visibilité. Lors de la marche des fiertés de New York en 1990, iels distribuent un manifeste, dont le texte original est disponible ici et une traduction en français ici.
Collectif féministe lesbien fondé en 1992 à New-York. Elles ont notamment été à l’initiative de la première Dyke March (“marche des gouines”) de Washington DC, qui s’est ensuite tenue annuellement jusqu’en 2007 et a repris ses activités à nouveau en 2019. Les Lesbian Avengers sont connues pour leurs actions créatives qui laissent une grande place à l'inattendu et au spectaculaire. Elles avaient par exemple l’habitude de cracher du feu lors de manifestations.
Groupe d’affinité de “queers radicaux” actif à Montréal entre 2002 et 2007. Iels ont notamment gagné une notoriété publique grâce à leur “sodomobile”, effigie en papier-mâché représentant le président du parti conservateur canadien en train de se faire sodomiser par une panthère rose. Le collectif n’est aujourd’hui plus actif, mais leur site internet rassemble encore de nombreuses ressources.
Réseau de cellules queers, anarchistes et insurrectionnelles. Le réseau a été fondé à Chicago et a été actif entre 2007 et 2011. Bash Back! militait pour une libération queer, contre l’assimilation à l’hétéronorme et contre la gentrification.
Tactique de manifestation née lors d’un rassemblement contre le sommet du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale à Prague en 2000. L'appellation “Pink Bloc” fait référence au “Black Bloc”, une forme d’action directe protégeant l’anonymat des participant·e·s. Les Black Blocs misent sur l’uniformisation des tenues (noires en l'occurrence). À l’opposé, le Pink Bloc utilise la couleur et l’ambiance festive comme techniques de diversion pour éviter les confrontations directes avec la police. Vous pouvez retrouver une description plus complète de ce qu’est un Pink Bloc ici.
Merci au collectif Let's Talk About Non-binary pour son aide à la rédaction de cet article.
https://lejournal.cnrs.fr/articles/de-langoisse-a-la-lutte-une-histoire-du-sida
https://www.reseau-canope.fr/corpus/video/le-sida-l%E2%80%99histoire-160.html
Baroque, Fray et Tegan Eanelli, Vers la plus queer des insurrections, 2020, Éditions Libertalia.