Idéalisation de certaines formes de sexualité

Dans nos sociétés occidentales, il y a des formes de sexualité qu’on estime comme étant la norme ou la manière parfaite d’atteindre soit le plaisir, soit la procréation. Tout le reste est considéré comme étant en dehors de ces normes, voire déviant, et est, dans certains cas, diabolisé.

Lorsque nous utilisons le terme “sexualité”, nous entendons toute forme de pratiques sexuelles ainsi que les modalités que celles-ci prennent. Cela implique le choix de partenaire(s) (que ce soit leur genre, leurs caractéristiques physiques, leurs origines sociales, etc.), mais aussi leur nombre (plusieurs en même temps ou plusieurs personnes rencontrées individuellement). Nous y intégrons aussi les types de relation dans lesquelles se déroulent les pratiques sexuelles (“coup d’un soir”, relation sexuelle entre ami·es, dans une relation romantique, etc.) ainsi que les pratiques elles-mêmes.

Il est intéressant d'observer quelles formes de sexualité sont idéalisées et de comprendre pourquoi elles le sont. Quelques questions se posent : qui a instauré ces règles sur la sexualité ? Quelles en sont les conséquences ? Quels sont les rôles joués par les personnes prenant part à ces formes de sexualité dites “normales” ? A l’opposé, quelles sont les formes que l’on proscrit et qu’arrive-t-il aux personnes qui les pratiquent ?

Le cercle de la sexualité "acceptable"

Rubin1 nous donne une vision des formes de sexualités qui sont généralement considérées comme acceptable (ou non) à travers cette figure :

Au centre, nous retrouvons les termes suivants : hétérosexualité, mariage, monogamie, procréation, gratuit, à deux, dans une relation romantique, de la même génération, à la maison, sans pornographie, seulement avec les corps, pratique conventionnelle ("vanille").

À l’extérieur du cercle se trouvent ces termes : homosexualité, en dehors du mariage ("dans le péché"), non-monogame, sans but de procréation, pour de l’argent, seul ou dans un groupe, sans engagement, intergénérationnel, dans un parc, avec de la pornographie, avec des objets, pratique BDSM (à l’opposé de conventionnel).

Ce qui est au centre du centre est considéré comme “acceptable” et ce qui est à l’extérieur est “hors normes”. Les termes qui se trouvent au centre du cercle correspondent aux valeurs chrétiennes qui régissent nos vies et nos législations, que ce soit dans les pays occidentaux mais aussi à travers le monde (puisque ces valeurs ont été imposées au reste de la planète au travers de la colonisation). Rubin décrit cinq structures idéologiques qui influencent notre manière de penser le sexe et qui découlent de ces normes chrétiennes :

La vision occidentale de la sexualité est donc très influencée par ces valeurs. Il faut se marier pour pouvoir avoir des relations des sexuelles, celles-ci se font entre un homme et une femme dans le but d’avoir des enfants. Ce sont de ces idéaux que nous tirons également les normes hétéronormatives, amatonormatives ainsi qu’allonormatives.

La théorie des scripts 

La forme de sexualité que l’on retrouve au centre du cercle de Rubin est tellement imprégnée dans notre culture et nos esprits qu’elle rentre dans ce qu’on appelle la théorie des scripts. Cette dernière est définie par Simon et Gagnon2 comme suit : “Les scripts sont, essentiellement, une métaphore pour conceptualiser la production des comportements sociaux. La plupart des moments dans la vie sociale sont construits sous le guide d’un système de fonctionnement, comme le langage est une condition essentielle au discours. Pour qu’un comportement puisse avoir lieu, quelque chose ressemblant à un script doit être inscrit sur trois niveaux différents : les scénarios culturels, les scripts interpersonnels et les scripts intra-psychiques.”

Ces différents scripts agissent sur trois niveaux différents : le premier sont les guides au niveau collectif, le second est ce qui nous permet alors d’improviser dans les relations interpersonnelles et le troisième est au niveau de ce que nous ressentons et pensons suivant les situations, jusqu’au contrôle de nos propres comportements selon ce qui est considéré comme culturellement acceptable.

Ces scripts interviennent dans toute situation : comment se tenir à table, les sujets de discussion appropriés avec ses grands-parents, les tenues acceptables pour aller travailler, etc. Les scripts existent aussi pour les rencontres sexuelles et définissent quelles pratiques se trouvent dans le cercle de “l’acceptable” (à un niveau culturel, interpersonnel, ou même personnel).

Ces scripts sociaux évoluent à travers le temps avec l’évolution des mœurs et diffèrent selon les cultures mais aussi les sous-cultures.3 Deux grandes sous-cultures sont celles autour des genres (différenciés ici entre hommes et femmes) : il existe des scripts sexuels différenciés pour les hommes et les femmes, et les personnes hétérosexuelles s’attendent souvent à ce que leur script soit complémentaire à celui de leur partenaire.

Les scripts genrés autour des relations sexuelles s’écrivent dès le plus jeune âge lorsqu’on enseigne aux jeunes leur rapport au corps, dans une perspective binaire, dyadique, cis- et hétéronormée du genre et de la sexualité.

Ainsi, “les garçons découvrent que leurs parties génitales leur donnent du plaisir et ne sont pas nécessairement plus ‘sales’ que d’autres parties de leurs corps qu’ils peuvent voir. Les filles apprennent que leurs parties génitales sont difficiles, si pas impossible, à voir de leur point de vue et qu’elles ont un aspect ‘sale’ qui demande des précautions spécifiques”.4 Cette différence va impacter comment les hommes et les femmes envisagent les relations sexuelles : les hommes n’y verront qu’un moyen de trouver du plaisir pendant que les femmes devront faire attention à leur santé (précautions contre les MST) et à ne pas tomber enceinte. De plus (et même si cela tend à changer), les femmes continuent à être stigmatisées lorsqu’elles ont des relations sexuelles en-dehors de relations romantiques, ce qui va avoir un impact sur leur volonté à s’engager dans ce type de relation. A contrario, le fait d’avoir plusieurs partenaires sexuel·les sera une source de fierté pour les hommes qui vont alors avoir tendance à chercher à les multiplier.

Pour ce qui est des pratiques sexuelles en tant que telles, les scripts donnent des rôles précis selon le genre : ce sont les hommes qui dominent et qui sont actifs lors des rapports et les femmes doivent donc recevoir et être passives. Le script de l’homme l’enjoint alors à être performant, ce qui signifie avoir une érection et la maintenir le plus longtemps possible pour satisfaire sa partenaire, tout en analysant les besoins de la partenaire en question. Le script de la femme l’engage à être séduisante, un “stimulus sexuel” pour son partenaire ainsi qu’à répondre de manière positive aux actions de ce dernier.

Ces scripts genrés vont parfois s’étendre dans les relations homosexuelles où une personne va être perçue comme le/la donneur·se et, l’autre, comme la/le receveur·se. De plus, comme “la bonne manière” d’avoir des relations sexuelles implique souvent d’être dans une relation romantique, en particulier pour les femmes, cela signifie qu’il devient plus difficile pour les personnes aromantiques de trouver des potentiel·les partenaires sexuel·les sans engagement romantique, mais aussi pour les personnes asexuelles de trouver des partenaires romantiques sans relations sexuelles (voir nos différents articles sur l’amatonormativité et la sexualité obligatoire).

Différences de scripts

L’un des buts des scripts est qu’ils permettent de réduire l’anxiété autour de situations qui nous sont étrangères. Ils sont un guide pour les individus, rendent une situation inconnue prévisible. De plus, ils permettent de donner une potentielle raison aux actions des autres personnes avec lesquelles un individu interagit. Dans le cas des relations sexuelles, cela ne fonctionne que si les deux partenaires suivent des scripts complémentaires. Que se passe-t-il si les scripts ne sont pas complémentaires ? Ou si un·e des partenaires dévie fortement des rôles prescrits par ces scripts ? Que se passe-t-il s’il n’y a pas de script clair pour la situation en question ?

Il faut alors examiner et communiquer explicitement sur le contenu de ces scripts. Cette communication est en contradiction avec la culture sexuelle dans nos pays occidentaux qui dit que les activités sexuelles doivent être spontanées pour être romantiques (et qu’elles doivent obligatoirement être romantiques). Par ailleurs, étant donné les rôles spécifiques donnés selon le genre, une personne pourrait se sentir moins désirable si sa ou son partenaire n’a pas le comportement attendu. Ainsi, une femme pourrait se sentir moins attirante si son partenaire masculin ne prend pas les devants et un homme pourrait avoir l’impression que son rôle est usurpé lorsque sa partenaire prend l’initiative de commencer les relations sexuelles. Cela devient plus difficile pour les personnes “hors normes” de trouver des partenaires sexuel·les qui soient en accord avec leurs pratiques. La culture du silence autour des pratiques sexuelles est d’autant plus problématique qu’elle complique les négociations de consentement, qui se font alors via le langage corporel uniquement.

Ces scripts, qui peuvent être une aide dans certains cas, peuvent donc aussi nous enfermer dans les idées traditionnelles de comment est censée se produire une rencontre sexuelle. En ce qui concerne les personnes LGBTQIA+, elles doivent généralement produire leurs propres scripts et donc plus souvent communiquer sur leurs envies et leurs limites. Cependant, il arrive également que certaines sous-cultures créent leurs propres scripts sexuels qui remplacent alors les scripts dominants, tout en imposant une nouvelle norme culturelle aux individu·es. Par exemple, la classification des hommes gays en “actifs” ou “passifs” reproduit le système de script hégémonique en l’adaptant à une sous-culture. Par contre, il existe également dans certaines sous-cultures gays une valorisation du sexe hors-couple qui n’est pas présente dans les scripts dominants, mais qui fonctionne comme une norme sexuelle dans un contexte spécifique (par exemple, le milieu gay dit “festif”). Il est donc intéressant de se rendre compte que ce qui est considéré comme “acceptable” ou non en termes de pratiques sexuelles dépend du contexte.

Face à la stigmatisation de certaines pratiques sexuelles et aux problèmes de communication et de consentement liés à l’acceptation inconditionnelle de certains scripts sexuels (que ce soit au sein de relations hétérosexuelles ou queer), il est important de pouvoir replacer les valeurs, besoins et envies individuelles au centre de la construction d’une relation (que ce soit amicale, romantique ou sexuelle). La diversité des préférences en termes de pratiques sexuelles est un fait, et en reconnaître l’aspect inoffensif et naturel permet de reconnaître également l’aspect coercitif d’une vision unique de ce que devrait être la sexualité.

Merci à Rey van der Auwera, du collectif Let's Talk About Non-binary, pour son aide à la rédaction de cet article.

Sources

1 Rubin Gayle S (2006). Thinking Sex: Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality. In R Parker & P Aggleton, Culture, Society and Sexuality

2 Simon W et Gagnon John H (1986). Sexual Scripts: Permanence and Change

3 et 4 Wiederman Michael M (2005). The Gendered Nature of Sexual Scripts

Un terme vous échappe ?

Découvrez notre glossaire en ligne pour accéder à davantage d’informations.
GLOSSAIRE
PRATIQ • 15 rue Sainte-Marie 4000 Liège • +32 4 227 17 33 • info@pratiq.be
Contact
Conditions générales
Vie privée
© Fédération Prisme 2023 - Tous droits réservés
designed by Impulse Now
illustrated by Célestin Eléonore Verbessem