Homonormativité

Si l’hétéronormativité concerne l’imposition de l’hétérosexualité comme seule norme de la sexualité acceptable, il n’en va pas de même pour l’homonormativité. À la place, l’homonormativité peut plutôt être définie comme une série de normes qui reproduisent certaines valeurs hétéronormatives au sein même des mouvements de luttes pour les droits des personnes LGBTQIA+. L’homonormativité, c’est ce qui nous dit qu’il faut “[n]e pas paraître trop masculine si l’on est lesbienne, pas trop féminin, si l’on est gay. Surveiller sa tenue, ses gestes et son timbre de voix pour s’assurer que ça ne se remarque pas. Trouver l’Amour, le vrai, celui avec un grand A et un beau mariage" 1 .Tout ça pour prouver que l’on est “normal”. Homosexuel, oui, peut-être, mais certainement pas malade, et certainement pas un de celleux-là (vous pouvez lire ici : les folles, les camionneuses, les drags, les personnes trans, les personnes qui ont des rapports sexuels avec des partenaires multiples, …)

L’homonormativité est en fait un régime de normes qui s’est développé à partir d’une stratégie rhétorique. Les luttes pour la légalisation et la dé-psychiatrisation de l’homosexualité ainsi que pour l’obtention de certains droits tels que le mariage et l’adoption ont souvent utilisé les arguments de la normalité et de l’absence de différence pour rallier les personnes hétérosexuelles à leur cause. Selon ces discours, les personnes homosexuelles méritent une égalité des droits parce qu’elles sont égales aux personnes hétérosexuelles, “égales” étant interprété dans le sens mathématique de “identiques”. (Un exemple est le slogan “Love is Love” qui indique que la discrimination contre “l’amour homosexuel” est insensée puisque cet amour est identique à l’amour hétérosexuel.)

Si cette rhétorique a permis de rallier un grand nombre de personne derrière la cause de l’acceptation et de l’inclusion de l’homosexualité, elle présente tout de même un écueil majeur : cette inclusion dépend de la capacité des personnes à s’intégrer à la norme hétérosexuelle, à prouver qu’elles sont “comme les autres” comme les personnes cis et hétéro. Cette acceptation conditionnelle a deux effets : d’un côté, elle désolidarise les membres des communautés LGBTQIA+, laissant un groupe profiter de certains privilèges alors que d’autres continuent à se battre pour leur survie. De l’autre, elle permet de protéger l’hétéronormativité en sélectionnant les enjeux qui méritent d’être portés et médiatisés.

En médiatisant par exemple le combat pour l’extension du droit au mariage aux couples de même genre, la société hétéronormative a pu afficher son progressisme tout en occultant les critiques faites par des personnes queers au mariage en tant qu’institution. De plus, la politisation de l’accès au mariage fait qu’il est également très difficile de critiquer le mariage au sein des milieux LGBTQIA+, car une telle critique reviendrait à “trahir” la lutte vers une égalité en droits. Les personnes les plus hors-normes (celles qui ne souhaitent pas se marier ou continuent à ne pas avoir accès à cette institution) sont donc réduites au silence au sein-même des mouvements LGBTQIA+, parce que la lutte pour l’égalité des droits est perçue comme plus importante et plus atteignable que d’autres combats.

D’autre part, plusieurs auteur·ice·s ont critiqué les liens possibles entre homonormativité et néolibéralisme. Les discours homonormatifs ont pour effet secondaire de pousser les publics LGBTQIA+ vers des sphères de domesticité, où iels sont ensuite encouragé·e·s à se comporter en consommateur·ice·s et membres productif·ve·s de l'État capitaliste. Pour reprendre l’exemple du mariage de couples du même genre : celui-ci ouvre la porte, pour celleux qui le souhaitent, à la fondation d’une famille centrée autour d’un amour romantique exclusif. Cependant, il crée aussi une attente de plus en plus forte que tou·te·s se dirigent vers cette solution. Les personnes qui privilégient la vie en communauté et la famille de cœur (sans liens biologiques ni légaux), se retrouvent à nouveau marginalisées, alors même que les couples mariés accèdent à de nouveaux privilèges légaux, financiers et culturels.

L’homonormativité ne se résume donc pas à la follophobie 2 ou à la panique morale entourant la présence de fétichistes à la Pride. Cependant, ces exemples illustrent de manière claire le mécanisme principal de ce système, qu’on pourrait synthétiser comme suit : “Ces personnes donnent une mauvaise image de nous, si l’on veut accéder à une égalité des droits et être accepté·e·s dans la société, il faut nous séparer d’elleux.” Dans cette phrase, on peut citer comme éléments important à l’analyse :

  1. La “mauvaise image” : ces arguments se basent sur un argumentaire normatif selon lequel tout ce qui sort de manière visible de la norme cis-hétéro va connoter négativement les actions des activistes. C’est un argument avec une longue histoire, dont celle de l’opposition entre les organisations dites “homophiles” et celles qui ont plus tard formé le mouvement de libération homosexuelle.3
  2. L’opposition entre “nous” et “elleux”, c’est à dire entre les “bonnes” personnes LGBTQIA+ et les “mauvaises” (les queers, les travailleur·euses du sexe, les personnes trans, les drags, les fétichistes, …) Cette opposition sépare les personnes LGBTQIA+ les unes des autres, mais crée en plus un rapprochement entre le “nous” des “bonnes personnes LGBTQIA+” et les personnes hétérosexuelles (après tout, puisque “love is love”, “nous” sommes comme ces personnes). Certaines personnes LGBTQIA+ se rapprochent donc de la norme hétérosexuelle pour atteindre un “nous” privilégié, tout en marginalisant doublement les personnes considérées comme trop “queer”, qui sont deux fois rejetées dans la catégorie des “autres” (une fois par les hétéros, une deuxième par ces “bonnes” personnes LGBTQIA+)
  3. Le concept d’égalité des droits et d’acceptation : toute cette rhétorique homonormative repose sur le postulat qu’il est préférable de voir la lutte LGBTQIA+ comme une lutte vers l’égalité en droits et une assimilation dans la société existante. L’alternative rejetée par cet argumentaire est celle d’une lutte queer, qui revendique les particularités des cultures et des modes de relation LGBTQIA+ comme ayant une plus-value par rapport à la société cis-hétéronormée. Une telle vision de la lutte ne veut pas que les communautés LGBTQIA+ s’assimilent à la société existante, mais au contraire que cette dernière soit contrainte de changer sous l’influence des cultures queers.

L’homonormativité est donc un système de normes qui permet de valoriser et de visibiliser les relations homosexuelles, mais seulement sous la condition que celles-ci fonctionnent comme des relations hétérosexuelles. Il est nécessaire de remettre en question ce type de discours afin que les communautés et mouvements de luttes LGBTQIA+ puissent également inclure toutes les personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas entrer dans le moule homonormatif.

Ceci ne veut pas dire que toute personne tenant un discours homonormatif ou assimilationniste a de mauvaises intentions. L’assimilation est en effet une stratégie qui s’est révélée efficace pour échapper aux LGBTQIA+-phobies, en tous cas pour les personnes capables de la déployer. Elle a également permis l’acquisition de droits et l’accès de personnes LGBTQIA+ à des positions influentes dans les sociétés cis-hétéronormées, formant un précédent de changement positif de la société sur les questions ayant trait aux communautés LGBTQIA+. Il est donc facile de comprendre que certaines personnes se rattachent à cette stratégie qui leur apporte plus de sécurité. Il est cependant également essentiel de comprendre que les politiques assimilationnistes sont souvent excluantes et violentes, même quand ce n’est pas leur intention première. C’est pourquoi une vigilance est requise au sein et en dehors de nos communautés face aux discours homonormatifs.

Merci à Emmanuel Hennebert du collectif Let's Talk About Non-binary pour son aide à la rédaction de cet article.

Sources

[1] https://www.lescheff.be/homonormativite-du-placard-a-larmoire

[2] Rejet - y compris au sein des communautés LGBTQIA+ - des hommes gays perçus comme “trop féminins” (au niveau de leur apparence, de leurs attitudes,...)

[3] https://journals.openedition.org/cpuc/480#tocto1n3

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